samedi 17 janvier 2015

Cylindrocladium buxicola, Volutella buxi, Cydalima perspectalis et autres saloperies ...

L'hiver ne commença à se faire sentir que le cinq du mois de janvier 1709. Cependant la gelée fut si grande aussi bien que le verglas, qui furent causés par quatre faux dégels, que des chênes et autres arbres se fendirent dans les forêts, et que quantité d'autres avaient tout le corps mort du côté du soleil dans les campagnes des grands Arbres, comme des poiriers, des pommiers, des noyers, des châtaigniers et autres, furent entièrement perdus, et gelés par la racine : les arbres des jardins furent gelés. Je fus obligé de couper par le pied tous mes pêchers, quoiqu'âgés de treize ans, ce que l'on ne fait presque jamais : je m'en suis trouvé si bien, que depuis ce temps-là je le fais encore quand je vois des arbres qui en ont besoin. J'ai remarqué qu'il n'y a rien à risquer, quand leur pied est bon, ils repoussent à merveille.À l'égard des autres arbres, j'ai remarqué que les branches étaient gelées par le haut, et que la gelée descendait dans le bois tous les jours de plus de six pouces : je ne lui donnai pas le temps de descendre jusqu'au pied, je coupai tous mes arbres au-dessous de la gelée, ce qui l'arrêta. Par là je les sauvai tous, à la réserve de quelques-uns qui furent gelés par la racine, mais en petit nombre.Les blés furent tous gelés dans les campagnes, en sorte que les laboureurs vendaient le blé dans les marchés depuis soixante jusqu'à soixante et quinze livres le septier. C'était une désolation générale : on voyait une infinité de pauvres qui mouraient de faim, et qui n'avaient plus la force de parler : ils ramassaient toutes sortes d'herbes dans les champs, et ils les faisaient cuire dans de l'eau pour les manger; et je puis assurer que j'en ai vu de couchés par terre qui paissaient l'herbe comme les bêtes. Dieu nous préserve d'un pareil hiver; mais si jamais il arrivait une gelée aussi violente, jevous conseil de pratiquer ce que je vous marque avoir fait. Ce sont des épreuves bien certaines, et dont je me suis bien trouvé.Dieu inspira aux habitants de la campagne de semer de l'orge et même dans des terres où l'on n'en avait jamais semé: elle vint avec tant d'abondance que cela rendit la vie à tout le peuple. Ce qui tient du prodige, c'est que plus on semait claire et plus on en recueillait : j'en ai vu semer le vingt-deux juillet, elle vint la plus belle du monde, en quantité.
(Saussay, Traité des jardins, Réflexions sur le désordre arrivé pendant l'hiver de l'année 1709, 1722)

Trois exemples de parterres possibles à l'Hôtel Heron(Auvergne) 


Evolution du parterre du parc de Sceaux ( je pense que ce n'est pas terminé)

Chez mon amie Michèle Quentin, les buis décimés par la Pyrale sont remplacés par des Carex créant ainsi un nouveau parterre

Vaux le Vicomte les parterres d'Henri et Achille Duchêne avec et sans broderie de buis

Les parterres de buis des plus fameux jardins du monde (rien que ça !) sont menacés par le Cylindrocladium buxicolale Volutella buxi et dans une moindre mesure par le Cydalima perspectalis, plus connu sous le nom de la Pyrale du buis. Ces maladies incurables pour l'instant créent un grand désarroi chez les propriétaires, les jardiniers et les amateurs de jardins. Ces maladies font suite à deux grandes maladies qui perturbent encore les jardins et aménagements verts : la graphiose de l'Orme (Graphium ulmi) a décimé la quasi totalité des ormes du territoire et le chancre coloré du platane (Ceratocystis platani) n'a pas encore dit son dernier mot et devrait logiquement et sans état d'âme coloniser le territoire européen... bref !! toutes ces maladies mortelles ... c'est grave ... Grave pour la botanique,  pour la biodiversité, c'est un choc affectif pour le propriétaire et le jardinier qui doivent se résigner à se séparer d'un arbre, d'un alignement, d'une broderie. Enfin c'est une problématique financière importante pour certains jardins.



Mais ... ce n'est pas aussi grave qu'on veut bien le dire pour les jardins ... 



En avant propos, moi qui ai connu des catastrophes hortésiennes, je préciserai pour éviter tout malentendu, que cette histoire de maladie qui entraîne la fin de certains parterres de buis me rend bien évidemment très très triste ... 



Revenons à notre exemple du buis et pourquoi ce n'est pas aussi grave que ça pour les jardins ... 

En dehors de la panique affective et financière, que se passe t'il en ce moment ? Déjà ... il y une confusion entre les champignons (Cylindrocladium buxicola, Volutella buxi) et la bestiole (Pyrale du buis). S'il existe un espoir de traitement efficace pour la pyrale, il est temps d'accepter le fait qu'il n'y aura aucun traitement pour les champignons et que la solution, comme pour l'orme ou le platane, est la recherche et la découverte d'un clone résistant ... processus qui, comme chacun sait, prend des décennies avant d'obtenir un premier résultat.

De quels buis parlons nous ? Dans les jardins, il y a deux sortes de buis : ceux qui servent à dessiner des broderies et les autres ... ces autres sont conduits en haies, en palissades, en topiaires ou ont un port libre ... Ici le débat est inutile, ces buis peuvent être remplacés par absolument n'importe quoi d’autre ... de l'if au pittosporum et passant par le charme, le Ficus benjamina voire le Phytolaca dioïca ...

Pour les buis de bordure c'est une autre affaire ... Alors, on se creuse les méninges, on épluche les catalogues afin de dénicher enfin la plante présentant les mêmes caractéristiques que le buis (Ilex crenata, Lonicera nitida etc). Les historiens en herbe viennent à la rescousse en nous rappelant qu'avant le buis, les bordures étaient composées d'Hysopes, de thyms etc. bref !!! on cherche des plantes à petites feuilles qui supportent la tonte, tout comme le buis. C'est une grosse bêtise esthétique et financière. Esthétique parce que nous sommes dans l'imitation (c'est un peu une redite du remplacement de  l'Orme par le Tilleul). Financière parce que je vous assure qu'une broderie de Lonicera deviendra vite ennuyeuse et insupportable à la vue et qu'il faudra encore une fois tout raser.

Cette démarche emprunte la route qui mène à la mauvaise porte d'entrée du jardin. On cherche une solution par le végétal et non par le Projet ... (avec un P majuscule)
Comme j’essaie laborieusement de le démontrer dans ce blog, il faut aborder le jardin autrement que par le végétal ...  
S'il y a un jardinier que j'aime, c'est bien celui du 19e siècle ... jamais il ne se serait posé cette question "par quelle plante remplacer suite à ... " il préférait plutôt se demander "de quelle manière vais-je faire évoluer mon jardin suite à .... " Il sait que toutes les réponses sont dans le projet,... Rappelez vous l'anecdote entre Louis-Martin Berthault et l'Empereur Napoléon 1er ce dernier souhaitant un jardin frais et régulier à Compiègne, Berthault lui répond (approximativement) " Pour avoir de la fraicheur dans un jardin régulier, il faut de l'eau ... je n'ai pas d'eau, dès lors je ne peux que vous faire un jardin paysager produisant de l'ombre". Le jardin régulier devient une impasse, la réponse ne peut être technique, apporter de l'eau à Compiègne aurait été ruineux, comme il est ruineux et inutile de replanter des buis sains dans un sol infesté par ces champignons. 
Le jardin du Palais Borromée à Isola Madre sur le lac Majeur ne se réduisait pas au fameux Cyprès du Cachemire pourtant considéré comme le plus bel arbre du monde et malheureusement terrassé par un coup de vent. Un jardin ne se réduit pas à quelques arbres centenaires ...Un jardin ne se résume pas à un parterre aussi beau soit t-il ... Prenez Champs-sur-Marne, Breteuil, Courances ou Vaux le Vicomte, si l'on supprime les buis du parterre et que l'on fasse un gazon (ce qui n'est pas la meilleure solution) à la place, le parc reste le même - beau, grandiose, composé, structuré, puissant, émouvant etc. ... Penser que le jardin est foutu à cause de quelques buis malades c'est ignorer ce qui en fait la beauté, c'est réduire le jardin à des détails ... Bien sur c'est traumatisant, on perd quelque chose, on pleure et il faut du courage, de la patience ... Il ne faut pas céder à l'appauvrissement en abandonnant ces parterres, il faut se rappeler que le parterre est une écriture du moment. Alors, il faut redessiner, recomposer réinventer ces parterres, ne pas se réduire à moins d'une dizaine de végétaux et s'intéresser aux centaines de milliers qui peuplent la planète ... Avec de la chance (qui généralement sourit aux audacieux) et du génie nous en profiterons pour réduire les coûts de gestion et nous soulagerons nos vieilles colonnes vertébrales ...  Mais surtout, nous réveillerons et nous sublimerons enfin nos parterres endormis. 



Vue des parterres de Sceaux au 19e siècle
Parterre de Talmay ... pourquoi faire plus ?


dimanche 4 janvier 2015