L'oncle vint. — Celui-ci, disait-il, dont les ailes sont
blanches avec une bordure et trois taches noires, s'appelle la piéride du chou.
Cet autre plus grand, dont les ailes jaunes et barrées de noir se terminent par
une longue queue a la base de laquelle se trouvent un grand ail couleur de
rouille et des taches bleues, se nomme le machaon. Ce tout petit, d'un bleu de
ciel en dessus, d'un gris argenté en dessous, parsemée de taches noires cerclées
de blanc, avec une rangée de points rougeâtres bordant les ailes, s'appelle
l'argus. Et l'oncle continua ainsi le dénombrement des papillons qu'un beau
soleil avait attires sur les fileurs.
JULES. - Et le papillon de notre chenille?
PAUL. - Je vais le chercher.
L'oncle revint bientôt. Il apportait une grande boite en
carton dans laquelle étaient fixes avec des épingles, sur un fond de liège, des
papillons et des scarabées de toutes sortes. Il y avait la les insectes qui
font du tort aux récoltes, aux fruits, aux plantations. L'oncle les avait peu à
peu recueillis, pour sa propre instruction et pour celle des autres. Il sortit
de la boite le papillon que voici.
PAUL. - La chenille du lilas de Jules serait devenue ce papillon
superbe, qu'on nomme Zeuzère du marronnier. Les ailes sont d'un beau blanc avec
de nombreuses taches d'un bleu fonce presque noir; le corps est également d'un
blanc soyeux; six gros points bleus sont ranges en deux lignes sur le dos a la naissance
des ailes. La femelle diffère du male par une taille moitie plus grande et par
un long conduit jaunâtre et pointu qui termine le ventre et sort introduire les
œufs dans les fines rides de l'écorce des arbres.
EMILE. — Et ce papillon provient de cette laide chenille?
PAUL. – 0ui, mon enfant.
Tout papillon, avant d'être la gracieuse créature qui vole de fleur en fleur
avec de magnifiques ailes, est une misérable chenille, qui rampe péniblement.
Ainsi la zeuzère, avec ses ailes de satin blanc tigre de bleu, provient d’une
chenille pareille a celle que nous avons prise dans le lilas de Jules; ainsi la
piéride, que vous voyez voler dans le jardin, est d'abord une chenille verte,
qui se tient sur les choux et en ronge les feuilles.
Jacques vous dira toute la
peine qu'il prend pour garantir de la vorace bête sa plantation de choux, car, voyez
vous, elles ont un terrible appétit, les chenilles. Vous en saurez bientôt le
motif.
La plupart des insectes se comportent comme les papillons.
Au sortir de l’œuf, ils ont une forme provisoire qu'ils doivent remplacer plus
tard par une autre. Ils naissent en quelque sorte deux fois : d'abord
imparfaits, lourds, voraces, laids; puis parfaits, agiles, sobres, et souvent
d'une richesse, d'une élégance admirables. Sous sa première forme, l’insecte
est un ver que l’on désigne par le nom général de larve. Retenez bien ce mot,
qui reviendra souvent.
Vous connaissez la jardinière, ce bel insecte d'un vert
doré que vous voyez si souvent vagabonder dans le jardin. Avant d'avoir sa
riche cuirasse plus brillante que le bronze poli, la jardinière était une fort laide
bestiole, toute noire, vivant dans la terre. Vous connaissez la jolie petite bête
du bon Dieu, d'un rouge vif avec sept points noirs.
Elle a été d'abord un ver
fort laid, une larve couleur d'ardoise, hérissée de piquants. Le hanneton, le
bonasse hanneton, qui, la patte retenue par un fil, gonfle gauchement ses ailes,
compte ses écus et part au chant de : « Vole, vole! » est d'abord un ver blanc,
une larve dodue, grasse a lard, qui vit sous terre, s'attaque aux racines des
plantes et ravage nos cultures. Le grand cerf volant, dont la tète est armée de
pinces menaçantes, semblables pour la
forme aux cornes du serf, est au début
un gros ver qui vit dans les vieux troncs d'arbre. Il en est de même du
capricorne, si curieux par ses longues antennes. Et le ver que Von trouve dans
les cerises trop mûres, que devient-il, lui si répugnant? Il devient une belle
mouche dont les ailes sont parties de quatre bandes de velours noir. Ainsi des
autres.
Eh bien, ce premier état de l'insecte, ce ver, forme
provisoire du jeune âge, s'appelle du nom de larve. Le merveilleux changement
qui transfigure la larve en insecte parfait se nomme métamorphose.
Les chenilles
sont des larves. Par la métamorphose, elles deviennent ces magnifiques papillons
dont les ailes parées des plus riches couleurs nous ravissent d'admiration.
L'argus, si beau maintenant avec ses ailes d'un bleu céleste, était d'abord une
pauvre chenille velue; le splendide machaon a débute par être une chenille
verte rayée de noir en travers, avec des points roux sur les flancs; l'élégante
zeuzere, si bien parée que les jardiniers la nomment la coquette, est en débutant
la misérable chenille que vous savez. De cette abjecte vermine, la métamorphose
fait les papillons, ces délicieuses créatures avec lesquelles les fleurs
peuvent seules rivaliser d'élégance.
(Jean-Henri Fabre, Les Ravageurs, 1870)
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