lundi 27 août 2012

Les amateurs de Cactus ...

Si je les appelle sectaires, ce n'est pas parce qu'ils cultivent les cactus avec grand amour : cet état de fait peut être qualifié de passion, d'originalité ou de manie. L'essence du sectarisme, ce n'est pas de faire quelque chose avec passion, mais c'est de croire en quelque chose avec passion, Il y a des amateurs de cactus qui croient à la poussière de marbre, tandis que d'autres croient à la brique pilée et d'autres encore au charbon de bois : il y a d'autres secrets plus profonds de la « Vraie Terre à Cactus » qu'aucun initié ne vous révèlera jamais, dût-il être roué. 
Toutes ces sectes, ces observances, ces rites, ces écoles, ces loges, ainsi que les amateurs sauvages ou cénobitiques vous jureront que ce n'est qu'à leur méthode personnelle qu'ils doivent des résultats aussi miraculeux que ceux qu'ils ont obtenus. « Regardez un peu cet Echinocactus Myriostigma. Avez-vous jamais vu chez personne autre un Echi­nocactus Myriostigma pareil? Allons, je vais vous le dire, à la condition que vous me gardiez le secret: il ne faut pas l'arroser, il faut l'humecter seulement. 
Voilà. - Comment, s'écrie un autre affilié, qui a jamais entendu dire qu'il faille humecter l'Echinocactus Myriostigma? Vous voulez donc que son sommet se refroidisse? Oh, oh, monsieur, si vous ne voulez pas que votre Echinocactus tombe en pourriture, vous ne devez l'humecter qu'une fois par semaine, et cela en le posant avec son pot dans une eau à la température de 23°,89. Et alors, il poussera d'une façon miraculeuse. — Jésus, mon Dieu, s'écrie alors un troisième, regardez-moi cet assassin. Si vous mouillez votre pot, monsieur, il se couvrira d'algues vertes, la terre s'aigrira et vous serez dans le pétrin, oui, dans le pétrin; en outre les racines de votre Echinocactus Myriostigma se mettront à pourrir. Si vous ne voulez pas que votre terre s'aigrisse, il faut que vous l'arrosiez tous les deux jours avec de l'eau stérilisée, dans la proportion de 0,111111 gramme d'eau par centimètre cube de terre et cette eau doit être d'un demi-degré plus chaude que l'air ambiant. 

Après quoi les trois amateurs de cactus se mettent à crier tous ensemble et à s'attaquer les uns les autres avec les poings, les dents, les sabots et les griffes ; mais de la façon dont vont les choses ici-bas, ces moyens énergiques ne sont pas plus aptes que les autres à révéler la vérité vraie. 

Il est vrai que les cactus méritent cette extraordinaire passion, et d'abord parce qu'ils sont mystérieux. La rose est belle, mais elle n'est pas mystérieuse. Les plantes mystérieuses comprennent, en particulier, le lis, la bruyère dorée, l'Arbre de la Connaissance, les vieux arbres d'une manière générale, certains champignons, la mandragore, les plantes glaciaires, les herbes empoisonnées et les plantes médicinales, les nénuphars blancs, le mesembrianthema et les cactus. En quoi consiste leur caractère mystérieux, je ne vous le dirai pas; il faut reconnaître le mystère pour pouvoir le trouver et le vénérer. Et puis, il y a des cactus qui ressemblent à des oursins, à des concombres, à des courges, à des candélabres, à des pots, à des barrettes de curé, à des nids de serpents; il y en a qui sont couverts d'écailles, de tétines, de touffes de poils, de griffes, de verrues, de baïonnettes, de yatagans et d'étoiles; il y en a qui sont trapus et d'autres étirés; les uns sont hérissés comme un régiment de lanciers, les autres tranchants comme une troupe qui brandit le sabre; vous en voyez qui sont gonflés, ligneux, ridés, barbus, bourrus, épineux comme des abatis d'arbres, tressés comme des paniers, semblables à des tumeurs, des animaux ou des armes : c'est la plus mâle de toutes ces plantes, portant des graines chacune selon son espèce, qui furent créées le troisième jour (Qu'ai-je fait là? dit ensuite le Créateur, étonné lui-même de ce qu'il avait créé). Vous pouvez les aimer sans pour cela les toucher d'une façon inconvenante, les embrasser ou les serrer contre vous : ils ne tiennent pas à l'intimité ou autres frivolités de ce genre; ils sont durs comme pierres, armés jusqu’'aux dents, résolus à ne pas se rendre:« Passe ton chemin, face pâle, ou je fais feu. » Une petite collection de cactus prend tout de suite l'air d'un camp de lutins belliqueux. Si vous coupez la tête ou la main à quelqu'un de ces guerriers, il naîtra de la plaie un nouveau combattant brandissant épée et dague. La vie est un combat. 

Mais il y a des instants mystérieux où ce rebelle susceptible et rétif s'oublie en quelque sorte et s'endort; il laisse pousser alors une fleur, une fleur grande et brillante, une fleur qui a l'air d'un prêtre entre ces armes levées à bout de bras. C'est là une grande grâce et un événement rare qui ne se produit pas pour n'importe qui. Croyez-moi, la fierté maternelle n'est rien devant l'orgueil et la vantardise d'un amateur qui a vu un de ses cactus fleurir.

(Karel Čapek, L’année du jardinier, 1929)

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