mercredi 1 août 2012

Août ...

Le mois d'août est d'habitude le moment où le jardinier abandonne son jardin pour aller en villégiature. Pendant toute l'année, il est vrai, il a proclamé énergiquement que, cette fois, il n'ira nulle part, qu'un jardin comme le sien vaut mieux que toutes les villégiatures et que lui, jardinier, n'est pas assez fou pour se traîner dans les wagons et aller au diable vauvert. Néanmoins, quand arrive l'été, il fuit la ville lui aussi, soit que se soit éveillé en lui l'instinct migrateur, soit à cause de voisins, pour ne pas faire jaser. Il est vrai qu'il part le cœur gros, rempli de craintes et de soucis à l'endroit de son jardin; et il ne part qu'après avoir trouvé quelque parent ou ami à qui il confie son jardin pour cette période. 
« Voyez, dit-il, aussi bien, il n'y a rien à faire dans le jardin, maintenant; il vous suffit d'y venir faire un tour tous les deux ou trois jours et si, par hasard, quelque chose n'allait pas, vous n'auriez qu'à m'envoyer une carte et je viendrais aussitôt. Donc, je me repose sur vous. Comme je vous dis, vous n'avez besoin que de cinq minutes, le temps de jeter un coup d’œil. » 
Puis il s'en va, après avoir ainsi confié son jardin à cet ami complaisant. Celui-ci reçoit le lendemain une lettre. « J'ai oublié de vous dire qu'il faut arroser le jardin tous les jours, de préférence à cinq heures du matin ou vers sept heures du soir. Ce n'est rien du tout: vous n'avez qu'à visser la lance d'arrosage à la prise d'eau et à arroser pendant une heure. Ah, pour les conifères, il faut les arroser tout entiers et très abondamment, de même que la pelouse. Si vous voyez quelque mauvaise herbe, il faut l'arracher. C'est tout, » 
Le jour suivant: « Il fait une sécheresse terrible. Je vous en prie, donnez à chaque rhododendron environ deux arrosoirs d'eau croupie, 
et à chaque conifère cinq arrosoirs, et aux autres plantes, environ quatre arrosoirs chacune. Les plantes qui poussent en ce moment ont besoin d'une grande quantité d'eau... écrivez-moi pour me dire quelles sont celles qui sont en fleurs. 
Les tiges fanées doivent être coupées. Il serait bon que vous piochiez un peu toutes les plates- bandes: la terre respire mieux. S'il y a des pucerons sur les rosiers, achetez de l'extrait de tabac et arrosez-en les rosiers après la pluie ou à la rosée. C'est tout ce qu'il y a à faire pour le moment. » 
Le troisième jour: « J'ai oublié de vous dire qu'il faut faucher le gazon : vous ferez ça en vous amusant, avec la machine; ce que la machine laissera, vous le couperez avec des ciseaux; Mais attention; après avoir coupé l'herbe, il faut bien la râteler et ensuite balayer avec un balai. Sinon la pelouse prend la pelade. Et arroser, arroser en abondance. » 
Le quatrième jour: « S'il arrive un orage, courez, je vous prie, jeter un coup d’œil à mon jardin; une averse violente fait quelquefois des dégâts et il est bon d'être aussitôt sur place. S'il apparaît des moisissures Sur les rosiers, saupoudrez-les, le matin, à la rosée, avec de la fleur de soufre. Attachez les plantes â hautes tiges aux tuteurs, pour que le vent ne les casse pas. Ici, il fait un temps splendide, il y a beaucoup de champignons et il fait bon se baigner. 
N'oubliez pas d'arroser tous les jours la vigne vierge qui est contre le mur de la maison, car il y fait sec. Mettez-moi de côté dans un sachet des graines de Pavot d'Islande. J'espère que vous avez fini de faucher les pelouses. Il n'y a pas autre chose à faire, sinon de détruire les perce-oreille. ) 
Le cinquième jour: « Je vous envoie une petite caisse contenant des fleurs que j'ai déterrées ici, dans les bois. Il yen a de toutes les espèces. Dès que vous recevrez la caisse, ouvrez- la, humectez un peu les plants et plantez-les quelque part à l'ombre dans mon jardin. Donnez-leur de la tourbe et du fumier. Planter immédiatement et arroser trois fois par jour. ) 
Le sixième jour: ( Je vous envoie par exprès lin panier de fleurs de la campagne... planter tout de suite... Vous devriez aller dans le jardin pendant la nuit pour détruire les escargots. Il ne serait pas mauvais de sarcler les allées. J'espère que la surveillance que vous exercez sur mon jardin ne vous prend pas trop de temps et que vous y passez d'agréables moments. ») 
Pendant ce temps, l'ami complaisant, conscient de sa responsabilité, arrose, fauche, pioche, sarcle et court à travers le jardin, les plants à la main, cherchant une place pour les loger; il est couvert de sueur et arrosé d'eau de la tête aux pieds; il s'aperçoit avec effroi qu'ici une plante est en train de jaunir et que là, quelques tiges se sont rompues tandis que le gazon se flétrit par places et que le jardin tout entier est, en quelque sorte, brûlé. Et il maudit le moment où il a assumé ce fardeau et prie Dieu que l'automne arrive vite. 
Et pendant ce temps, le propriétaire du jardin pense avec inquiétude à ses fleurs et à ses pelouses, il dort mal, il enrage que l'ami complaisant ne lui écrive pas un rapport quotidien sur l'état du jardin. Il compte les jours qui le séparent de Son retour, envoyant tous les deux jours une caisse de fleurs de la campagne et une lettre contenant une douzaine d'ordres impératifs. Enfin, il rentre et, la valise encore à la main, il se précipite dans son jardin et regarde autour de lui, les yeux humides... 
« Le fainéant, le maladroit, le dégoûtant se dit-il avec amertume , ah , il m'a arrangé mon jardin, celui-là » 
« Je vous remercie », dit-il sèchement à l'ami complaisant et, tel un reproche vivant, il s'empare de la lance pour arroser son jardin négligé. (Comment ai-je pu, pense-t-il en lui-même, confier mon jardin à cet imbécile ? De ma vie, je ne commettrai plus la sottise de partir en villégiature.) 
Les fleurs de la campagne, ce n'est rien; le jardinier fanatique s'arrange toujours pour les déterrer, afin de les incorporer à son jardin. Il n'en va pas de même d'autres objets naturels. « Bon Dieu se dit le jardinier à la vue du Matterhorn ou de la Gerlachovka » si seulement j'avais cette montagne dans mon jardin et ce morceau de forêt avec ces arbres géants et cette clairière et ce torrent ou plutôt ce lac et voilà une prairie qui ferait a merveille dans mon jardin, ainsi qu'un morceau de rivage maritime; quelque ruine d'un cloître gothique m'irait aussi assez bien. Et je voudrais avoir ce tilleul millénaire que voilà; cette fontaine anti- que ressortirait dans mon jardin de façon tout à fait jolie. Et pourquoi n'aurais-je pas un troupeau de cerfs ou quelque chamois ou du moins cette allée de vénérables peupliers, et ce rocher, et cette rivière et ce boqueteau de chênes, ou cette cascade blanche et bleue, ou à la rigueur cette vallée verdoyante et tranquille... )
(Karel Čapek, L’année du jardinier, 1929)


Dessin Josef Čapek

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