lundi 19 mars 2012

Quasiment sublime ...


En ce moment, au début du printemps, les jardiniers sont, comme on dit, irrésistiblement attirés dans leurs jardins; à peine ont-ils posé leur cuiller, les voilà au milieu de leurs plates-bandes, pointant leurs postérieurs vers le sublime firmament; ici, ils écrasent dans leurs doigts une poignée de terre, là ils creusent pour placer plus près de quelque racine un précieux morceau de vieux fumier éventé; ici, ils arrachent des mauvaises herbes; là, ils enlèvent un caillou ; maintenant ils ratissent le sol autour des fraisiers et une minute après Ils se pencheront sur quelques plants de salade, le nez contre terre et chatouillant amoureusement une frêle touffe de radicelles. C'est dans cette posture qu'ils jouissent du printemps, tandis qu'au-dessus d'eux le soleil décrit sa révolution glorieuse, tandis que voguent les nuages et que les oiseaux du ciel s'abandonnent à l'amour. Déjà s'ouvrent les bourgeons des cerisiers, les jeunes feuilles se développent avec une aimable sveltesse et les merles crient comme des fous; alors, le véritable jardinier se redresse, s'étire et dit d'un air rêveur: « A l'automne, j'y mettrai beaucoup de fumier et j'ajouterai un petit peu de sable.  
Mais il est un moment où le jardinier se redresse et développe toute sa taille: c'est l'heure de l'après-midi où il procède dans son jardin à la cérémonie de l'arrosage. A ce moment-là, il se tient debout et, quasiment sublime, il dirige le jet d'eau qui sort du bec de la lance d'arrosage: l'eau bruit en tombant comme une douche argentée et sonore. De la terre monte un parfum d'humidité; chaque feuille prend une couleur d'un vert agressif et étincelle d'une joie si appétissante qu'on en mangerait. « Bon, en voilà assez », chuchote le jardinier d'un air de bonheur; et, ce disant, il ne pense pas au cerisier qui écume de bourgeons ni au groseillier pourpre: il pense à la terre grise. Et, au coucher du soleil il dit avec un accent de suprême contentement: « Ah, j'ai bien bûché, aujourd'hui. »
 (Karel Čapek, L’année du jardinier, 1929)





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